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C'est en mai 1624 que le Nieu Nederlandt, un navire affrété par la Compagnie des Indes occidentales arrive en vue de l'île de Manhattan. Le bâtiment transporte une trentaine de familles belges : la plupart sont des Wallons auxquels sont venus se joindre quelques Flamands.

Les passagers vont bientôt être dispersés : après avoir été débarqués sur l’île aux Noix (aujourd’hui Governor’s Island), huit colons vont rapidement construire un fort au sud de l'île de Manhattan - sur le site actuel de Battery Park. Les autres se répartissent comme suit : quatre couples et huit marins vont gagner la rivière Delaware et bâtir le Fort Nassau (à proximité de la ville de Gloucester dans le New Jersey). Deux familles et six hommes remontent la rivière Fresche (Connecticut) et vont y construire un fortin à l'emplacement actuel de la ville de Hartford. Environ dix-huit familles restent à bord du Nieu Nederlandt et remontent la rivière Hudson. Elles vont débarquer à l'emplacement actuel de la ville d'Albany (capitale de l'État de New York).

Ces premiers pas dans la colonisation de ce territoire ne constituent en fait que la suite d'un processus entamé un siècle plus tôt.

En effet, c'est en 1524 que l'expédition française dirigée par le Florentin Giovanni Da Verrazzano découvre pour la première fois la baie de New York. Le roi François 1er étant alors en guerre avec l'Espagne, l'information est envoyée aux archives. Pendant plusieurs dizaines d'années, ce sont surtout les Espagnols qui vont manifester de l'intérêt pour le Nouveau Monde et en exploiter les richesses.


Willem Usselinx
En 1555, l'abdication de Charles Quint en faveur de son fils Philippe II va précipiter les Pays-Bas dans le chaos. Le duc d'Albe, envoyé par le roi d'Espagne, y impose une répression impitoyable contre les protestants, en révolte contre les abus de l'Église catholique.

Les excès de l'Inquisition mèneront à une émigration massive de Wallons et de Flamands vers le nord des Pays-Bas, la Suède, l'Angleterre et l'Allemagne, à la révolte des « Gueux », ainsi qu'à la sécession des Provinces du Nord des Pays-Bas, qui prendront le nom de Provinces-Unies. Les Provinces du Sud continueront à subir le joug espagnol et les affres de la guerre.
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Afin d’éviter toute confusion, il faut savoir qu'à l'époque, les Pays-Bas couvraient une bonne partie du Nord de la France et de la Lorraine, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas actuels. Ses habitants étaient appelés les Belges, et les cartes de l'époque représentaient le pays sous la forme d'un lion : le "Leo Belgicus".
C'est en cette époque troublée que naît un jeune Anversois dénommé Willem Usselinx. Sa famille le destinant au négoce des épices, elle l'envoie faire sa formation en Espagne, au Portugal et aux Açores. À son retour des Açores en 1591, Usselinx décide de quitter Anvers pour la Hollande. Ayant constaté à quel point l'Espagne tirait sa richesse de ses colonies américaines, il n'aura de cesse de convaincre les Hollandais de fonder également des colonies dans le Nouveau Monde, dans le but d'y combattre les Espagnols.
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Près de trente années d'obstination et d'efforts seront nécessaires de la part de Willem Usselinx pour qu'en 1621, la Compagnie des Indes occidentales voie enfin le jour. C'est elle qui affrétera le Nieu Nederlandt...

Henri Hudson
En 1609, un marin anglais nommé Henri Hudson découvre, par approximativement quarante et un degrés de latitude nord et septante-quatre degrés de longitude ouest, une grande baie dans laquelle se jette un long fleuve surgi des montagnes.

Hudson avait été chargé par les Flamands Emmanuel Van Meteren, Judocus Hondius et Petrus Plancius de découvrir, pour le compte de la Compagnie des Indes orientales, un nouveau passage vers la Tartarie et la Chine.

Alors qu'il explorait les côtes d'Amérique à bord de son navire, le hasard lui fit trouver, 85 ans après Verrazzano, le fleuve qui allait porter son nom, ainsi que le territoire qui devait devenir la future New York.


Jessé de Forest
Jessé de Forest faisait partie de ces Wallons ayant fui les persécutions religieuses. Né à Avesnes en Hainaut en 1576, il quitte sa terre natale en 1615 et part s'installer à Leyde en Hollande. Il va y remuer ciel et terre pour obtenir le droit d'émigrer avec les siens et d'autres familles wallonnes vers le Nouveau Monde. Il y côtoiera aussi des Puritains anglais, futurs passagers du Mayflower.
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Le 5 février 1621, Jessé de Forest adresse une pétition, rédigée en français, à Sir Dudley Carleton, ambassadeur de Sa Majesté le roi d'Angleterre à La Haye. Jessé y demande, au nom d'une cinquantaine de familles wallonnes et françaises, l'autorisation de s'établir en Virginie, sollicitant pour ces dernières un territoire de huit milles anglais à la ronde. Connu sous le nom de Round Robin, ce document est aujourd'hui conservé au British Public Record Office.
Le 11 août 1621, la Virginia Company répond par un accord de principe, assorti de certaines restrictions, dont la plus grave interdit aux familles wallonnes de se rassembler en une seule colonie autonome. Jessé de Forest décline l'offre.

La naissance de la Compagnie des Indes occidentales fait alors germer un plan des plus astucieux dans l'esprit du Wallon.
Proposant ses services et ceux de ses compatriotes à la Compagnie hollandaise, Jessé lui apprend aussi qu'un groupe de familles, pratiquant tous les métiers, a l'occasion d'émigrer sous peu pour le compte des Anglais. Arguant que ces colons préféreraient partir pour la Compagnie des Indes occidentales, il souhaite une réponse rapide, précisant en outre que l'offre est à prendre ou à laisser.

Les États de Hollande, conscients de l'importance d'une telle ouverture pour d'éventuelles futures entreprises de colonisation, consultent le jour même les Bewindhebbers (directeurs) de la Compagnie, alors réunis à La Haye.

Le 27 août 1622, après les années d'efforts fournis par Willem Usselinx et Jessé de Forest, ce dernier obtient enfin l'autorisation officielle d'émigrer avec les familles candidates aux Indes occidentales.

Parti en reconnaissance sur les côtes de Guyane en 1623, Jessé de Forest meurt au bord de l'Oyapok (aujourd'hui frontière entre le Brésil et la Guyane française), le 22 octobre 1624.


Nouvelle Belgique
A partir de 1615, les territoires compris entre la Virginie et la Nouvelle-Angleterre vont porter indifféremment le nom de Nouvelle-Belgique (Novum Belgium, Novo Belgio, Nova Belgica, Novi Belgii) ou de Nouveaux-Pays-Bas.

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Le terme Belgique fait référence aux anciens Pays-Bas, qui couvraient alors une partie du Nord de la France et de la Lorraine, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas actuels. Ses habitants s'appelaient les Belges.

De nombreuses cartes du XVIe siècle montrent d'ailleurs ce territoire portant le nom de Belgique. Le nom tombera ensuite en désuétude au profit des Pays-Bas, et ne fera sa réapparition qu'en 1789 à l'occasion de la première révolution belge.

Plusieurs sceaux de l'époque rappellent en outre que les territoires entourant la future New York portaient le nom de Nouvelle-Belgique. Un premier sceau datant de 1623, porte l'emblème d'un castor - avant l'arrivée des colons en 1624, c'étaient surtout les trappeurs qui exploitaient la contrée -, et porte la mention " Sigillum Novi Belgii ". Le sceau de la Nouvelle-Amsterdam, datant de 1654, porte quant à lui la  mention " Sigillum Amstellodamensis in Novo Belgio ".

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Pierre Minuit
En 1626, Pierre Minuit, gouverneur de la Nouvelle-Belgique, se rend célèbre en achetant l'île de Manhattan aux Indiens Manhattes, en échange de verroterie et autres colifichets, pour l'équivalent de 60 florins (24 dollars).

Pierre Minuit est un Wallon, né à Wesel (Rhénanie). Ses parents, originaires de Tournai en Hainaut, s'y étaient installés en 1581 pour fuir les persécutions religieuses. Il deviendra lui-même diacre de l'Eglise wallonne.

Soucieux de défendre les intérêts des colons, il se distinguera aussi par le respect de ceux des Indiens, partant du principe qu'il y a plus à retirer du mélange et de l'intégration harmonieuse de deux cultures - même opposées en apparence - que dans le rejet pur et simple de la plus faible ou soi-disant moins " civilisée ".

La tolérance n'est d'ailleurs pas le point fort de la Compagnie des Indes occidentales. Organisation féodale, celle-ci impose à tous les colons désireux d'émigrer en Nouvelle-Belgique une série  de règles strictes : outre l'exercice de la religion réformée, les colons doivent faire usage exclusif du bas-allemand - langue à l'origine du flamand et du néerlandais actuels -, dans tous les actes publics rendus à la colonie.

De nombreux patronymes sont " néerlandisés ", comme Rapalje pour Rapaille ou Minnewit pour Minuit. D'autres colons sont tout simplement désignés par le nom de la ville hollandaise qu'ils viennent de quitter. L'historien américain Charles W. Baird, dans son livre
"History of the Huguenot Emigration to America", a qualifié ce genre d'abus de Batavian disguise (camouflage à la Batave).

Il est également défendu aux colons de tisser de la laine ou de la toile, ainsi que de fabriquer du drap ou tout autre tissu, sous peine d'être bannis ou punis comme parjures. Le but caché est ici de garantir un monopole aux importations en provenance de Hollande.
L'attitude bienveillante et protectrice de Pierre Minuit à l'égard des colons, ainsi que la convoitise d'un directeur de la Compagnie hollandaise voulant imposer son neveu en tant que gouverneur, font qu'il est rappelé en 1632.

Les traces des Wallons et des Flamands à New York sont nombreuses et souvent ignorées : la baie de Gowanus par exemple, à l'ouest de Brooklyn tire son nom d'Owanus, traduction latine de Ohain, village du Brabant wallon. La baie de Wallabout, au nord de Brooklyn est une déformation du néerlandais Waal bocht (baie wallonne).

Le nom de Hoboken, quartier bien connu à l'ouest de Manhattan, provient d'une commune de l'agglomération d'Anvers en Flandre. Communipaw, à Jersey City, est la contraction de Community of Pauw. Michel De Pauw, originaire de Gand en Flandre, avait aussi acheté Staten Island aux Indiens en 1630.

Quant à Peter Stuyvesant, à qui certains veulent absolument attribuer la paternité de la fondation de New York, il n'est arrivé qu'en 1647, soit vingt-trois ans après le débarquement des premiers colons.


Reconnaissance américaine

Le 20 mai 1924, à l'occasion du tricentenaire de la fondation de New York, un monument commémoratif est érigé en l'honneur des colons wallons, sur le site de Battery Park, à la pointe sud de Manhattan.
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Une pièce de monnaie en argent, de 50 cents, commémorant le tricentenaire de l'arrivée des Wallons est également mise en circulation à la même époque.
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Le gouvernement des Etats-Unis rend encore hommage aux premiers colons en procédant à l'émission de timbres-poste de 1, 2 et 5 cents.
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Oubli belge
On peut se demander pourquoi les circonstances réelles entourant la naissance de New York sont, aujourd'hui encore, pratiquement ignorées dans la Belgique actuelle.

Les manuels scolaires et livres d'histoire sont muets à ce sujet. Récemment, Génies en herbe, un jeu organisé par la RTBF (Radio Télévision belge francophone) et mettant en compétition différentes écoles, demanda aux candidats qui était le fondateur de New York. La prétendue bonne réponse était Peter Stuyvesant... Une réponse qui en dit long sur l'oubli dans lequel sont tombés les ancêtres des participants... et des organisateurs !

Cet oubli peut s'expliquer de différentes façons. En voici une qui paraît plausible : les fondateurs de New York étant des Wallons et des Flamands protestants, la Belgique étant catholique et l'enseignement ayant très longtemps été influencé par l'Eglise, on peut supposer que celle-ci ait volontairement occulté cette période de notre histoire.

Après trois cent quatre-vingt-cinq ans, les colons wallons et flamands protestants ne semblent donc toujours pas bénéficier du pardon de l'Eglise catholique.

Certaines rancunes sont quelquefois tenaces...


Bibliographie
Description de la Nouvelle Belgique (par Johannes De Laet - 1640)
• Les Belges et la fondation de New York (par Antoine De Smet - conservateur-adjoint à la Bibliothèque royale de Belgique)
• Les Wallons, fondateurs de New York (par Robert Goffin, Institut Jules Destrée)
• Historique de la colonisation de New York par les Belges (par G. Gomme)
The Belgians, first settlers in New York (by Henri G. Bayer)
History of the Huguenot immigration to America (par Charles W. Baird)
• History of the United States of America (par George Bancroft)
• History of the city of New York (par Martha Lamb)
Narratives of New Netherland (par Franklin Jameson)
• History of the State of New York (par Dr. John Romeyn Brodhead)
• Memorial History of the City of New York (par le Général James Grant Wilson)
• La part des Belges dans la fondation de l'Etat de New York (par le Baron de Borchgrave)
• Willem Usselinx (par Michel Huisman, professeur à l'Université libre de Bruxelles)
Belgian Americans (by Jane Stewart Cook)



Liens
Belgian Immigrants in New York State
New York : A Sketch of the City’s Social, Political, and Commercial Progress from the First Dutch Settlement to Recent Times (by Theodore Roosevelt)
New York Urban Life : History
DeFreest Family History
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